Chapitre 4 - La sagesse du Bouddha vs la sagesse des humains ordinaires

Dans ce chapitre, nous allons réfléchir à ce qu’est la sagesse du Bouddha, son éveil, en le comparant à notre propre sagesse d’hommes et femmes ordinaires.

Dans le 2ème chapitre, Les Moyens, du Sutra du Lotus, nous lisons :

« Les Éveillés Vénérés du monde n’apparaissent au monde qu’en raison d’une unique grande œuvre (…) C’est parce que les Éveillés Vénérés du monde veulent ouvrir les êtres à la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent montrer aux êtres la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent faire comprendre aux êtres la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent faire pénétrer les êtres dans la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde ».

Un peu plus haut, dans le même chapitre, il est dit :

« Ce que l’Éveillé a mené à l’accomplissement est la Loi, primordiale et rare, difficile à comprendre ; seul un Éveillé peut avec un autre Éveillé scruter jusqu’au bout le véritable aspect des dharmas ».

On voit également l’expression « Loi sans précédent ».

En résumé, un Bouddha est Bouddha parce qu’il s’est éveillé à une Loi (Dharma) sans précédent, difficile à comprendre et le seul et unique but pour lequel il apparaît au monde est de faire pénétrer les êtres ordinaires que nous sommes dans cette sagesse, autrement dit, nous faire devenir Bouddhas nous aussi.

Il faut ici préciser un point important. Certains « pseudo bouddhistes » pensent que la Loi (le Dharma) à laquelle s’est éveillé le Bouddha existe en dehors du Bouddha, indépendamment du Bouddha, préalablement au Bouddha. Or, il s’agit là d’une grave erreur, car cette notion relève exclusivement de la voie extérieure et n’est qu’une reformulation de la notion de Dieu.

Contrairement à la loi universelle de la gravitation que développa Isaac Newton, loi qui existait avant lui, en réalité, la Loi (Dharma) « sans précédent » à laquelle s’est éveillé le Bouddha n’existe que dans le corps du Bouddha, à l’intérieur de la sagesse du Bouddha dont elle est le contenu. Il y a unicité de la Personne (le Bouddha) et de la Loi (ce à quoi il s’est éveillé). Il y a Simultanéité de la cause (Gautama l’homme ordinaire) et de l’effet (L’Éveillé Shakyamuni).

Le chapitre des Pratiques vertueuses du Sutra des Sens Infinis décrit le corps du Bouddha, autrement dit ce qu’est le véritable aspect des dharmas en ces termes :

« (…) Son esprit est en extinction, sa conscience anéantie, sa pensée aussi est apaisée ;

il a à tout jamais coupé court aux raisonnements erratiques comme le rêve

et ne connaîtra plus les éléments, les agrégats, les domaines et les activités sensoriels.

Son corps ne relève ni de l’existant ni du non-existant,

il n’est ni causé ni conditionné, ni en soi ni pour autrui,

ni carré ni rond, ni court ou long ;

il n’émerge ni ne sombre, ne naît ni ne disparaît ;

il ne crée pas, ne suscite pas, n’agit ni n’opère ;

il n’est ni assis ni couché, ne marche ni ne demeure,

ne se meut ni ne tourne, ne reste pas oisif ;

il n’avance ni ne recule, n’est ni ferme ni frêle,

il n’est ni n’est pas, il n’acquiert ni ne perd,

il n’est ni ceci ni cela, ne part ni ne vient ;

il n’est ni bleu ni jaune, ni rouge ou blanc,

ni pourpre ni violet, ou d’une quelconque couleur.

Il naît des préceptes, de la concentration, de la sagesse, de la délivrance, du savoir et de la vision ».

Autrement dit, le véritable aspect des choses, l’éveil du Bouddha, « ne doit pas être défini en termes d'être, ni en termes de non-être. Les deux mots "être" et "non-être" ne peuvent le désigner, pas plus que les deux concepts d'être et de non-être. (...) Il ne s'agit ni de l'être, ni du non-être, mais de ce qui comprend et l'un et l'autre ».

En d’autres termes, l’éveil du Bouddha est complètement hors de notre champ conceptuel, en dehors de toutes notions d’être ou de non-être, de bien, de mal, de matière ou d’esprit, de tout ce que nous pouvons imaginer.

Et nous, dans tout ça ?

Que signifie "voir le véritable aspect des choses" ?

Quand on observe le monde qui nous entoure, on voit qu’il y a des montagnes, des rivières, des animaux et aussi des maisons, des gens, une multitude de phénomènes qui nous paraissent extérieurs, objectifs. Et puis, quand on ferme les yeux, s’ouvre alors notre monde intérieur, même s’il n’est pas aussi distinct que le monde phénoménal, avec ses sentiments, ses émotions. Le mathématicien, physicien et philosophe français René Descartes (1596-1650) affirma que tout ce qui existe se répartit en deux catégories : la matière et l’esprit, deux éléments parfaitement dualistes. A l’inverse, le Bouddha enseigna la non-dualité de la matière et de l’esprit.

Autrement dit, il y a deux manières de considérer le monde qui nous entoure. La première est d’appréhender tous les phénomènes comme extérieurs à nous-mêmes, existants indépendamment de nous, que nous soyons présents ou non, morts ou vivants. C’est ce qu’on appelle « la voie extérieure » (gedō).

A l’opposé, le Bouddhisme enseigne que tous ces phénomènes, montagnes, rivières et autres, ne sont que le fruit de notre esprit et n’existent uniquement que parce que nous en avons pris conscience. C’est ce que l’on appelle « la voie intérieure » (naidō), ce à quoi le Bouddha s’est éveillé et qu’il enseigna tout au long de sa vie.

Dans le Sutra de l’Ornementation fleurie, il dit :

« L’esprit ne s'arrête jamais, Manifestant toutes les formes, Innombrables, inconcevablement nombreuses, Inconnues les unes des autres. Tout comme un peintre qui ne peut pas connaître son propre esprit, mais qui peint grâce à l'esprit, Ainsi en est-il de la nature de toutes choses.

L'esprit est comme un peintre habile, capable de peindre les mondes :

Les cinq agrégats sont tous nés de lui ; Il n'est rien qu'il ne fasse pas.

(…)

Sachez que Bouddha et l'esprit sont par essence inépuisables.

Si les gens savent que les actions de l'esprit créent tous les mondes, Ils verront le Bouddha et comprendront la vraie nature du Bouddha ».

Ce qui indique bien que le monde phénoménal est le produit de notre esprit. Les cinq agrégats, rappelons-le, sont les cinq éléments qui nous constituent : les formes, sons, odeurs et autres que nous percevons, la manière dont nous les interprétons, nos réactions et la conscience que l’on en tire. On les appelle les cinq ombres (jp. Go-on - 五陰) parce qu’ils nous dissimulent le véritable aspect des choses ou encore les cinq accumulations (jp. Go-un -五蘊), parce que leur accumulation produit la souffrance.

Ainsi, la voie extérieure affirme que les choses existent en dehors de nous, tandis qu’à l’inverse, la voie intérieure, le bouddhisme, affirme que les dharmas (phénomènes) et nous ne faisons qu’un.

Il n’est pas nécessaire d’être philosophe ou de pratiquer une quelconque religion pour penser que la Tour Eiffel, le Mont Fuji et tout le reste existaient avant nous et existeront après nous, indépendamment de nous. Un enfant de trois ans le comprend déjà. Pourtant, des gens se sont demandé « qui a créé tout ça » ? Alors, l’homme a créé Dieu à son image pour donner une réponse à une question qui n’en était pas une. Par contre, pour comprendre que la Tour Eiffel, le Mont Fuji n’existent que parce que nous avons conscience de leur existence et, encore plus, non seulement le comprendre mais le vivre, demande une sérieuse ascèse bouddhiste.

La pratique du bouddhisme a donc un double but : s’éveiller au fait que les phénomènes objectifs n'existent pas en dehors du domaine de l’esprit et, ce faisant, détruire les perceptions erronées de la subjectivité qui considère les choses du monde extérieur comme réelles et dissiper les diverses souffrances (mauvaises passions) associées à ces perceptions et, ainsi, devenir Bouddha.

 

Nouvelles publications

Depuis le 18/09/2014