Question n° 5

Au sujet de l'absence d'ego

Question

Ce à quoi s’est éveillé le Bouddha est décrit dans le chapitre des Pratiques vertueuses du Sutra des Sens Infinis en ces termes :

« (…) Son esprit est en extinction, sa conscience anéantie, sa pensée aussi est apaisée ; il a à tout jamais coupé court aux raisonnements erratiques comme le rêve et ne connaîtra plus les éléments, les agrégats, les domaines et les activités sensoriels. Son corps ne relève ni de l’existant ni du non-existant, il n’est ni causé ni conditionné, ni en soi ni pour autrui, etc… »

D’autre part il est dit que l’égo est produit par l’obscurité fondamentale et que pratiquer inclus de s’efforcer à l’effacement de l’égo. Comment concilier ceci avec le « je pratique » et avec l’offrande de bien aux égos des défunts.

 

Réponse

Je pense qu’il faut tout d’abord revenir aux fondamentaux en expliquant ce qu’est « l’absence de moi » ou « absence d’ego » dans le Bouddhisme.

L’absence d’ego fait partie de ce que l’on nomme « les quatre sceaux du Dharma « en japonais Shihō-in – 四法印)

Le sceau du Dharma est le symbole qui montre qu'une doctrine appartient à la loi bouddhique. Ainsi, le sceau du Dharma nous indique une spécificité du bouddhisme et permet de reconnaître la conformité à l'orthodoxie. Il permet à la fois de juger si un propos correspond à la pensée bouddhique et également il résume sous la forme d'axiomes ou de maximes les particularités caractéristiques du bouddhisme. Il s’agit donc, en quelques sortes du b. a.-ba du bouddhisme, sa porte d’entrée.

Les quatre sceaux du Dharma sont :

1.       les mouvements sont impermanents,

2.       les dharmas sont sans ego,

3.       tous ne sont que souffrance

4.       Le Nirvana est sérénité et pureté.

Nous avons donc quatre critères aisément mémorisables qui permettent de reconnaître si une théorie ou des propos sont conformes à l'ensemble du corps des enseignements bouddhiques.

Les quatre sceaux du Dharma sont une constante dans tout l’enseignement du Bouddha. On les retrouve dès les premiers Sutras Agamas, jusqu’au dernier, le Sutra du Nirvana.

Nous allons nous attarder plus particulièrement au deuxième sceau du Dharma, l’absence d’ego, qui nous intéresse aujourd’hui.

Les multiples dharmas sont sans ego (j. Shohō muga (無我), s. anatmanah sarvadharmah).

La formulation nécessite déjà quelques explications. Les multiples dharmas désignent les phénomènes, nous compris. Le mot japonais que nous traduisons par "ego" est Ga () qui signifie moi ou je, d'où notre choix du latin ego qui s'est intégré à notre langue depuis l'époque moderne. Dans de nombreuses traductions l'expression muga est rendue par "dépourvu de nature propre" ou "sans nature propre".

La notion « d’absence de nature propre », particulière au bouddhisme est le développement naturel de la notion de « production conditionnée », qui est la première expression de ce à quoi le Bouddha s’est éveillé.

Ce genre de principe semble difficile à comprendre à des esprits "cartésiens" pour qui "il faut appeler un chat un chat". Or, le bouddhisme qualifie "d’attachement", de "vue de la permanence" ce genre de considération, comme l’illustre la phrase suivante du « Grand Sutra sur la causalité » :

"Mes amis, lorsque l’espace est entouré par du bois, par du lierre, par de la paille de riz, par de la boue, on obtient le nom de maison. De même, mes amis, lorsque l’espace est entouré par des os, par des muscles, par de la chair et par de la peau, on obtient le nom de corps".

A l’évidence, ce sutra expose la production conditionnée. Je pense que nous devons prêter attention à l’expression : "on obtient le nom". Elle signifie en effet : "une idée naît", ou "une notion est conceptualisée. Il convient de bien comprendre que la production conditionnée expose la création de tels concepts subjectifs.

Lorsque nous voyons un espace entouré de planches de bois, de briques, d’un jardin, nous avons immédiatement l’idée de "maison". De même, lorsque nous voyons un espace entouré de chair, de muscle, de cheveux, le concept "corps humain" nous vient à l’esprit. Or, Les planches de bois, les tuiles, le jardin sont les causes objectives, les raisons de notre conceptualisation subjective de la notion de "maison", les os, les muscles, la peau sont celles de notre notion de "corps". Ainsi, nos concepts subjectifs (maison, corps, tour Eiffel) dépendent de causes objectives, indépendamment desquelles ces notions ne peuvent exister. Autrement dit, nos notions subjectives de maisons, de corps auxquelles nous nous attachons, sont en fait impermanentes et dénuées de soi. La production conditionnée ne considère pas la maison, ni le corps, ni toutes les formes d’existences comme des éléments absolus, mais comme des existences subjectives et relatives. "On obtient le nom" signifie que la maison, le corps sont des conceptualisations subjectives alors que la production conditionnée enseigne que « l’objectif », c’est-à-dire tout ce qui nous entoure est la cause qui provoque « le subjectif », c’est-à-dire la conscience, qui est l’effet. Toutes ces notions subjectives sont des phénomènes provisoires, changeants. Toutes relèvent des lois de la production conditionnée, de l’impermanence, de l’absence de soi et de la transformation.

Prenons un exemple dans la vie quotidienne. Une bouteille de Coca-Cola est posée sur la table. Si elle est vide et qu’on y met de l’eau, elle devient une bouteille d’eau ; si on y met une fleur, elle devient un vase ; si on y plante une bougie, elle devient un bougeoir. Si alors, on se dit « c’est une bouteille de Coca avec de l’eau dedans, une bouteille de Coca avec une fleur dedans ou une bouteille de Coca avec une bougie plantée dans le goulot, c’est qu’on reste encore dans la vue erronée de la permanence des choses, qu’on vogue encore dans la voie extérieure et on ne peut donc pas obtenir le « sceau du Dharma » de l’absence d’ego.

Dans les textes du Grand Véhicule on trouve plus souvent l'expression vacuité que "sans ego". Les deux sens sont très proches car la vacuité (s. sunyata, j. kū) désigne la qualité de ce qui est vide (sunya) de nature propre.

Le concept de "sans ego" est très éloigné de la perception occidentale et tout particulièrement de la conception philosophique française classique. Le fait de considérer que l'individu, par exemple est sans ego propre, sans personnalité, ne se situe pas au niveau des conventions ordinaires. Bien sûr l'individu à une personnalité, des goûts ou des inclinations et cela, le sens commun le reconnaît. Mais ces attributs sont fonction de circonstances diverses et sont donc susceptibles de varier si leurs conditions se modifient. Contrairement à la vue commune, l'individu n'est pas seulement cette personnalité qu'il croit être et qui, tant qu'il ne l'aura pas construite, il n'est que le produit de circonstances diverses.

D’ailleurs, le mot « muga » que l’on a traduit par « sans ego » peut également être traduit par l’expression « qui n'est pas l'ego ». Cette acception est très intéressante car elle souligne le fait que nous sommes plongés dans l’illusion de croire que notre ego représente ce que nous sommes. Tout le monde a un ego dont le siège et la 7ème conscience et avec l’enfoncement de plus en plus profond dans la Fin du Dharma et avec les avancées technologiques, de plus en plus de gens sentent la nécessité de manifester leur ego sous une forme quelconque. Les réseaux sociaux sont un excellent support à cet étalage. Les gens qui ont véritablement du talent, des connaissances, quelque chose à montrer, le font par le biais de l’art, voire du sport, tandis que ceux qui n’ont rien mais qui veulent quand même crier « j’existe ! Regardez-moi », le font par le biais de rodéos urbains, de tags sur les murs et autres Abaya et Black-Blocks.

Mais ce petit moi, issu de la 7ème conscience, n’est pas le véritable « moi ». Le véritable moi, le véritable ego est le moi, l’ego du Bouddha. Au sein du 16ème chapitre du Sutra que nous lisons matins et soirs lors de notre pratique quotidienne, nous trouvons 37 fois l’idéogramme « ga () qui signifie donc « moi », « je ». Mais ce moi, ce « je » est le moi absolu, universel et éternel du Bouddha, issu de la 9ème conscience qui, par le biais de l’énergie de notre foi et de notre pratique envers le Dai-Gohonzon se renforce jours après jours grâce aux pouvoirs du Dharma et du Gohonzon. Cette 9ème conscience s’amplifie chaque jour et recouvre progressivement notre 8ème conscience, siège de notre karma qu’elle efface, ainsi que notre 7ème conscience, nos 6 première consciences et enfin nos 6 racines qu’elle purifie, ce qui nous permet de devenir Bouddha dès ce corps, car à ce moment-là, il n’y a plus de distinction entre l’objectif et le subjectif et nous percevons le véritable aspect des dharmas.

Il n’aura certainement échappé à personne que les stances « Jiga » du 16ème chapitre du Sutra du Lotus commencent par l’idéogramme « Ji » et se terminent par l’idéogramme « shin ». Il se trouve que si on accole ces deux idéogrammes on obtient le mot « jishin » qui signifie « moi-même ». Autrement dit, dans ces stances, le Bouddha parle de lui-même. Lorsque nous lisons ces stances lors de notre pratique, nous reprenons à notre compte ces paroles qui se terminent par « je me fais sans cesse cette réflexion "comment mener les êtres à entrer dans la Voie sans supérieure et à réaliser le corps du Bouddha" ».

Le corps du Bouddha dont il est question se subdivise en « corps du Dharma », « corps de sagesse (ou de rétribution) » et « corps de communication ».

Le « corps du Dharma » est le véritable aspect des choses auquel le Bouddha s’est éveillé : Il ne relève ni de l’existant ni du non-existant, il n’est ni causé ni conditionné, ni en soi ni pour autrui, etc… Ce « principe ultime ne possède pas de nom ».

Le « corps de sagesse », quant à lui, est la rétribution de la bouddhéité. Il se manifeste par le fait que « son esprit est en extinction, sa conscience anéantie, sa pensée aussi est apaisée ; il a à tout jamais coupé court aux raisonnements erratiques comme le rêve et ne connaîtra plus les éléments, les agrégats, les domaines et les activités sensoriels ».

Le « corps de communication » par le biais duquel le Bouddha enseigne aux êtres, se manifeste par le fait que « Lorsque le sage, observant le principe, donna un nom à toute chose, ce fut le Dharma unique, inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Lui donnant un nom, ce fut Myōhōrenge ».

En réalité, dans les sutras antérieurs au Sutra du Lotus et même dans la première moitié du Sutra du Lotus, la doctrine éphémère, les êtres, pour devenir Bouddha doivent passer des neuf mondes au monde du Bouddha, ce qui indique une transformation. Or, la véritable bouddhéité, celle du profond des phrases enseignée par Nichiren Daishōnin est l’éveil dès ce corps, tel que l’on est.

Dans ce cas-là, les trois corps du Bouddha sont appelés le triple corps sans artifice.

Autrement dit, la révélation de la nature originelle du Bouddha énoncée dans le chapitre Durée de la vie signifie que tous les êtres, sensitifs comme non sensitifs, sont tous le Bouddha au triple corps sans artifice à l’éveil originel.

Ce triple corps sans artifice est le bouddha en accord avec la raison. Si l’on examine la chose en détail, le cours des choses naturelles expriment les fonctions du Bouddha. Par exemple, la substance des végétaux est le corps de Dharma à l’éveil originel. Leur sagesse consistant à faire mûrir les fruits et éclore les fleurs toujours à la même saison, est le corps de rétribution. Le fait que parvenus à maturation ils nourrissent les êtres sensitifs est le corps de communication.

C’est la même chose pour les êtres sensitifs. Leur corps physique manifestant une petite partie de la substance du Dharma merveilleux, c’est l’expression du corps de Dharma sans artifice. Leur petite parcelle de sagesse est la manifestation du corps de rétribution sans artifice. Chacun d'entre eux a sa propre action, ce qui manifeste le corps de communication sans artifice.

Or, ceci n’est que du point de vue théorique, mais ne représente pas directement le triple corps sans artifice de la Fin du Dharma. Plus profondément, ce qui a été établi sur la base de la preuve manifeste, est Nam-Myōhōrengekyō de l’ensemencement, source fondamentale du bouddhisme, par la véritable pratique de la merveille de la cause originelle.

Dans la Transmission orale de la doctrine, Nichiren Daishōnin indique :

« Du point de vue général, l’Ainsi-venant désigne tous les êtres, mais du point de vue particulier, il s’agit de Nichiren, de ses disciples et de ses adeptes. Aussi, le triple corps sans artifice est le pratiquant du Sutra du Lotus dans la Fin du Dharma. Le nom honorifique du triple corps sans artifice est Nam Myōhōrengekyō ».

Il dit encore :

« Ce triple corps sans artifice s’obtient à l’aide d’un seul mot ; ce mot est la "foi" ».

La foi dans le Dai-Gohonzon constitue l’ensemencement. La pratique avec foi en ce Dai-Gohonzon est la maturation, ce qui nous permet d’obtenir immédiatement la récolte, c’est-à-dire la libération par la fusion de notre sagesse (remplacée par la foi) avec l’objet qu’est le Gohonzon.

Ce n'est que dans conviction dans les doctrines de la Nichiren Shōshū, qui révère Nichiren Daishōnin comme le Bouddha fondamental, que nous pouvons réaliser l’éveil dès ce corps et c’est par la pratique que la véritable atteinte de la bouddhéité peut se manifester.

Je voudrais à présent réponde à la seconde partie de la question qui concerne l’offrande du bien aux ancêtres.

Premièrement, les défunts n’ont plus d’ego, puisque la 7ème conscience est formée à la naissance et se termine avec la mort. Ce qui reste après la mort, et la 8ème conscience. A ce moment-là, soit la 9ème conscience a remplacé la 8ème conscience et nous sommes Bouddha, soit, elle ne l’a pas remplacée et nous voguons jusqu’à la vie suivante au gré de la 8ème conscience, qu’on appelle aussi le « karma ».

Ça, c’est le premier point. Ensuite, j’aimerais raconter une anecdote concernant l’offrande du bien aux ancêtres et leur salut.

A la suite d’un cours de Gosho portant sur une lettre de Nichiren Daishōnin à Shijō Kingo, dans laquelle Il écrivait, en substance : « quel dommage que vos frères aient arrêté la pratique, car de ce fait, ils n’ont plus la possibilité de sauver vos parents », j’ai posé une question au moine de l’époque : Shijō Kingo pratiquait, donc, il avait la possibilité de sauver ses parents. Or, ses frères ne pratiquaient plus, donc ils ne pouvaient plus sauver leurs parents. Que deviennent les parents dans ce cas-là ? Sont-ils sauvés ou non ?

Le moine m’a répondu : « ce n’est pas comme ça qu’il faut considérer la chose. Simplement, Shijō Kingo avait la cause pour sauver ses parents, tandis que ses frères n’avaient plus la cause ».

Effectivement ! Il fallait réfléchir au niveau de la cause, et non pas de l’effet.

Nous qui pratiquons, générons la cause du salut de nos parents, indépendamment des autres membres de notre famille qui éventuellement, pratiquent autre chose et qui, comme me l’a dit un autre moine quand je vivais au Japon, mettent de l’huile sur le feu. Nos parents, vivants ou défunts, font partie de notre monde des dharmas. Dès lors, si nous devenons Bouddhas, ils le deviennent aussi.

 

Voilà ce que je peux dire sur la question.

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