Question n° 2

La simultanéité de la cause et de l'effet

Question

Pouvez-vous développer le concept "simultanéité" de la cause et de l’effet » ?

 

Réponse

La causalité, ce lien indissoluble entre la cause et l'effet, est le pilier central sur lequel repose l'édifice du savoir humain. Cette maxime que toute chose a sa raison d'être, guide l'homme dans sa quête de connaissance depuis la nuit des temps. Les religions nourrissent la foi, les philosophies interrogent l'esprit, les sciences scrutent la nature, mais toutes s'abreuvent à cette source intarissable de la causalité. Seul le bouddhisme, dans sa sagesse, admet les limites étroites du temps et de l'espace qui bornent la compréhension humaine de cette chaîne infinie de causes et d'effets. Ainsi, l'homme entrevoit la causalité mais ne peut en saisir la pleine portée. Tel l'aveugle effleurant l'éléphant, il n'en perçoit qu'une infime partie.

I. La Causalité selon la voie extérieure

À l'aube de l'ère du Bouddha, l'Inde foisonnait d'écoles de pensée en quête de vérité. Autant de sages répondant à l'éternelle interrogation : d'où venons-nous et où allons-nous ? Les théories pullulaient pour éclairer le lien entre la cause et l'effet qui régit notre destinée.

 

Les sutras nous ont transmis cette effervescence intellectuelle à travers les Six Maîtres de la voie extérieure, les Trente Grands maîtres de la voie extérieure et les Soixante-deux vues erronées, ou encore les quatre-vingt-quinze sortes de maîtres de la voie extérieure recensés par Nichiren Daishōnin dans le Traité qui ouvre les yeux.

 

Toutefois, toutes ces idées peuvent être classées en trois grandes catégories qui s'affrontaient alors et, qui du point de vue du bouddhisme, sont des erreurs :

1)      Théorie de la causalité par accumulation des actes (Shuku-sa in-setsu - 宿作因説), autrement dit le fatalisme, la destinée ; « c’était écrit ».

2)      Suggestion du Créateur céleste auto-existant (jizaiten sōzō in-setsu - 自在天創造因説) autrement dit, le théisme, la volonté divine d'un Créateur tout-puissant façonnant l'univers

3)      La théorie de l'absence de causalité (Muin muen setsu - 無因無縁説) autrement dit, la théorie des coïncidences, du hasard dans un monde sans causalité.

La théorie de la causalité par accumulation des actes peut être considérée comme une conception métaphysique englobant le destin et la destinée. Selon cette théorie, l'ensemble des éléments, y compris l'individu lui-même, repose sur les causes issues de vies antérieures. Le présent et le futur sont ainsi préalablement déterminés par les destins individuels.

Initialement, cette théorie peut être envisagée comme une réponse perspicace apportée à la question insoluble du système des castes qui prévalait à l'époque. Cette question portait sur les raisons pour lesquelles certains naissent brahmanes et prêtres, d'autres kshatriyas (nobles) et vaishyas (marchands), tandis que je suis le seul Shudra (esclave) ?

Cependant, lorsque cette perspective fataliste est modifiée pour faire place à la notion de la volonté divine, elle se transforme en (II) la théorie d'un Créateur céleste auto-existant, considérant la création divine comme la cause fondamentale. Autrement dit, tout individu et toute chose sont engendrés par l'Être suprême absolu, qui s'est créé lui-même. Quelle que soit la situation dans laquelle vous prenez naissance, cela est entièrement voulu et accompli par la divine providence.

En contraste, (III) la théorie de l'absence de cause, ou théorie des coïncidences, du hasard, présente une perspective radicalement différente, en considérant l'absence de lien causal.

Ce point de vue rejette en dernière instance le principe de la causalité et avance l'absence d'une loi causale dans le domaine de l'existence humaine, que ce soit dans le contexte présent ou prospectif.

Cependant, ces trois perspectives refusent d'admettre la causalité inhérente aux actions proactives entreprises par les individus. En effet, la première théorie, celle de la fatalité et de la destinée, préconise l'abdication complète devant le destin, engendrant une perte de l'aspiration à l'amélioration et à l'élévation dans la vie réelle.

D'autre part, en ce qui concerne le deuxième point, celui de la volonté divine, si l'intégralité des événements est déterminée par la volonté de Dieu, alors les efforts humains, peu importe leur nature, deviennent dénués de signification. Si l'on attribue toutes nos actions, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, à l'œuvre divine, cela équivaut déjà à une réfutation du principe de causalité. Enfin, de manière intrinsèque, la troisième perspective, celle de la coïncidence et du hasard, qui nie les retombées des efforts humains, s'aligne sur la pensée contemporaine des non-croyants.

C'est ainsi que le vénéré Shakya, qui se fondait sur le postulat de la causalité amenant la rétribution résultante, rejeta ces conceptions en les qualifiant de périlleuses et erronées. Les enseignements des six maîtres ainsi que la voie extérieure, qui furent écartés par le Bouddha, s'alignaient respectivement sur ou s'opposaient au brahmanisme, mais furent tous influencés par les textes sacrés brahmaniques du Rig Veda.

Au sein du Rig Veda, des relations de causalité sont évoquées, comme l'ont transmis les trois figures immortelles que sont Kapila, Uluka et Rsabha.

Dans son ouvrage intitulé "Le Traité qui ouvre les yeux", Nichiren Daishōnin expose ces trois éternels de la manière suivante :

« Kapila, Uluka et Rsabha sont appelés les trois ermites. (…) Le principe ultime qu'enseignent leurs doctrines est soit la présence de l'effet dans la cause, soit l'absence de l'effet dans la cause, soit à la fois la présence et l'absence de l'effet dans la cause ».

Par la suite, il réfute les enseignements des six maîtres affiliés à la voie extérieure, au motif qu'ils ne parviennent pas à présenter de manière exhaustive la véritable nature de la causalité.

Ces concepts sont véritablement ardus à comprendre. "La présence de l'effet dans la cause" signifie que, au sein de la cause, il existe déjà l'effet. Vous pourrez peut-être penser qu'il n'y a rien là d'extraordinaire. Cependant, la causalité selon la voie extérieure est fondamentalement différente de celle du bouddhisme. Dans ce dernier, on ne considère pas qu'un effet est présent dans une cause unique. En effet six causes et quatre conditions (Rokuin shien-六因四縁) sont répertoriées. Diverses causes (In) entrent en corrélation avec divers effets (Ka), auxquels s'ajoute les conditions (En). Les causes et les conditions existent dans la relation d'interdépendance synthétique de différents facteurs. Cette conception est différente de la pensée de la voie extérieure où l'on considère qu'une cause unique donne immanquablement naissance à un élément déterminé.

En d'autres termes, la voie extérieure s'attache à la pensée de "la cause unique". L'origine première de la cause est alors "le moi" (skt. Atman). En ce qui concerne notre propre personnalité, il s'agit de la pensée de l'ego (Moi, je...). Afin de réfuter cette pensée du "moi", Shakyamuni enseigna en premier lieu la vacuité.

Nous avons ensuite "l'absence de l'effet dans la cause", thèse proposée par Uluka. Lui considère que toute chose possède une substance. Il prône l'existence d'une entité des phénomènes. Chaque chose possède une nature qui lui donne diverses fonctions. Parmi celles-ci, existent des concepts communs et des concepts particuliers. C'est-à-dire qu'il reconnaît la similitude et la différence qui, selon certaines unions, deviennent les phénomènes.

Comme il considère la substance originelle comme l'entité, celle-ci est pour lui la cause. Il ne reconnaît aucune autre cause. Finalement, la substance, fruit de l'attachement fondamental au soi, crée le monde des dharmas de l'univers, ainsi que tous les êtres humains.

Toutefois, les phénomènes, naissant de l'origine, possèdent des natures différentes. Leurs fonctions sont également multiples. Les phénomènes ne sont donc pas forcément identiques. Par exemple, prenons de la terre. À partir de cette motte de terre, nous pouvons fabriquer une statue, ou un pot, ou encore un vase. Ainsi, pour une cause unique, la manière dont elle se manifeste est indéterminée. Pour cette raison, dans la cause, il n'y a pas d'effet. Celui qui s'est éveillé à la cause première est le ciel de Brahma. Cette pensée établit Brahma en tant que substance vers laquelle il faut retourner. Telle est la théorie de l'absence d'effet dans la cause d’Uluka.

Quant à la théorie de "la présence ou de l'absence d'effet dans la cause", Rsabha en est son initiateur. Celui-ci préconisait diverses mortifications pour atteindre un point indicible. Pour la voie extérieure pratiquant les mortifications, le corps constitue l'origine de l'illusion. Lorsqu'on s'est arraché de ce corps, apparaît l'esprit supérieur et pur. Autrement dit, l'illusion apparaît parce que notre corps est souillé.

Aussi, pour se libérer de l'illusion, il faut se séparer du corps. Telle est la pensée de Rsabha.

Pour des hommes de notre époque, une telle conception est difficilement imaginable.

(II) Les pratiques de la voie extérieure.

Les pratiques ascétiques extrêmes des six maîtres, consistant à se plonger dans le Gange à trois reprises quotidiennes, à s'arracher les cheveux, à se jeter contre les rochers, à jeûner et à s'immoler par le feu, visaient à atteindre la vérité ultime.

Ces actes s'inscrivaient dans la pensée brahmanique de l'unité entre le Brahman, principe cosmique fondateur, et l'Atman, essence individuelle. L'esprit humain était ainsi conçu comme intrinsèquement bon. Le but était de restaurer cette unité originelle du soi et du divin.

Toutefois, selon cette conception, l'union de l'esprit au corps entraîne une agitation de la pensée vers le mal. La méditation avait donc pour dessein de séparer l'esprit de l'influence corporelle afin de retrouver sa nature première éclairée.

D'autre part, le corps humain étant perçu comme composite d'éléments terre, eau, feu, vent et éther, son emprise induisait l'errance de l’esprit ; à l'inverse, son affaiblissement par la mortification permettait la purification de l'esprit et sa libération de l'asservissement corporel.

Cependant, ces conceptions reposent sur la pose d'absolus métaphysiques, tels le Brahman ou le Soi, auxquels tout se rapporte.

Le bouddhisme récuse ces absolus qui ignorent la causalité conditionnée.

(III) La causalité dans le bouddhisme.

Toutes les choses existent en s'appuyant les unes sur les autres par des relations de cause et de conditions. C'est ce que le Bouddha a réalisé sous l'arbre Bodhi.

Le bouddhisme accorde une grande importance à la production conditionnée et à la causalité, mais même si nous parlons de causalité, il énonce six causes, quatre conditions et cinq effets, dont les significations sont diverses et non uniformes, comme c'est le cas pour la voie extérieure. Diverses causes (In) entrent ainsi en corrélation avec divers effets (Ka), auxquels s'ajoute les conditions (En).

Je n'expliquerai pas chacune d'entre elles ici, mais par exemple, l'une des six causes est appelée "cause de maturité différente" (i juku in - 異熟因). C'est l'une des lois de cause à effet de la vie dans les trois phases.

Citant le Sutra de l'observation de la terre du cœur dans le Traité qui ouvre les yeux, Nichiren Daishōnin écrit :

« Si vous voulez connaître les causes du passé, regardez les effets du présent. Si vous voulez connaître les effets de l'avenir, regardez les causes du présent ».

En d'autres termes, ce que nous avons fait dans nos vies antérieures est la cause et se manifeste par des effets bons ou mauvais et des rétributions bonnes ou mauvaises dans le présent, et ce que nous avons fait dans cette vie est la cause qui conduit à des effets futurs.

En outre, le bouddhisme enseigne également que l'effet est inclus dans la cause par le principe de la « simultanéité de la cause et de l'effet » (inga guji - 因果倶時).

(IV) La simultanéité de la cause et de l’effet.

Parvenu à la doctrine originelle du Sutra du Lotus, cette doctrine de la cause et de l'effet se prolonge par la doctrine de la cause et de l'effet originels du Bouddha fondamental du passé infini.

Dans le Traité sur le Sens de la substance (Tōtai gi Shō - 当体義抄), Nichiren Daishōnin qualifie la simultanéité de la cause et de l’effet de « loi inconcevable ». Il écrit en effet :

« Le principe ultime ne possède pas de nom. Lorsque le sage, observant le principe, donna un nom à toute chose, ce fut le Dharma unique, inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet. Lui donnant un nom, ce fut Myōhōrenge. Cette Loi unique de Myōhōrenge contient tous les trois-mille dharmas des dix mondes, sans qu’il en manque un seul. Celui qui pratique (cette Loi unique) peut obtenir simultanément la cause de bouddhéité et l’effet de bouddhéité. Le sage prenant cette Loi pour maitre, pratiqua et s’éveilla à la voie. Il perçut simultanément la cause merveilleuse et l’effet merveilleux. C’est pourquoi, il devint l’Ainsi-venant à l’effet complet de l’éveil merveilleux. »

Rappelons que le principe ultime, ce à quoi s’est éveillé le Bouddha est décrit dans le chapitre des Pratiques vertueuses du Sutra des Sens Infinis en ces termes :

« (…) Son esprit est en extinction, sa conscience anéantie, sa pensée aussi est apaisée ;

il a à tout jamais coupé court aux raisonnements erratiques comme le rêve

et ne connaîtra plus les éléments, les agrégats, les domaines et les activités sensoriels.

Son corps ne relève ni de l’existant ni du non-existant,

il n’est ni causé ni conditionné, ni en soi ni pour autrui, etc… »

Le « principe ultime » désigne le principe naturel le plus profond, c’est-à-dire dépourvu d’artifices, présentant l’aspect originel du principe véritable. Lorsque le sage voit ce principe, il donne un nom à toute chose, ce qui signifie que le Dharma unique inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet existe au moment le plus fondamental, avant même toute dénomination. Toutes les choses sont donc, telles quelles, le Dharma unique inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet.

La simultanéité de la cause et de l’effet implique que les neuf mondes sont dotés, tels quels, du monde du Bouddha et que le monde du Bouddha possède, tel quel, les neuf mondes. Comme fondement de cela, il y a « Une-pensée » du dharma du cœur. Autrement dit, il s’agit de notre cœur, à chacun d’entre nous, il s’agit du Dharma inconcevable de la simultanéité de la cause et de l’effet.

Ainsi, le cœur possède quelque chose de respectable. C’est pourquoi, à partir du moment où nous avons ce cœur, il est extrêmement dommage de nous attacher à des choses insignifiantes et de se fourvoyer sur des chemins erronés. Mesdames et Messieurs, dans votre « Une-pensée » du dharma du cœur, les neuf mondes et le monde du Bouddha sont présents. Le monde du Bouddha est l’effet et les neuf mondes sont la cause. Que nous possédions tels quels la cause et l’effet, représente la signification première de la simultanéité de la cause et de l’effet. La cause et l’effet n’étant qu’un tout, est appelé Loi unique inconcevable.

Pour donner un exemple concret de la simultanéité de la cause et de l’effet, le 67ème grand Patriarche Nikken Shōnin donnait l’explication suivante sur le fait de renaître immédiatement, dès ce corps, sans avoir à mourir, en tant que bodhisattva jaillis de terre lorsque nous pratiquons Daimoku avec foi dans le Dai Gohonzon :

« En premier lieu, lorsque les êtres de la Fin du Dharma, ceux qui n'ont absolument aucune relation avec le bouddhisme, reçoivent et gardent le Dharma merveilleux, récitent le Daimoku et accomplissent shakubuku, ils renaissent dans la vie des Bodhisattvas jaillis de la Terre. En conséquence, les vertus pures de ceux qui émergent de la terre, qui ont pratiqué le Dharma merveilleux depuis le passé inconcevablement lointain de kuon, deviennent directement les vies de ces personnes et produisent les vertus merveilleuses depuis l'époque du passé inconcevablement lointain de kuon. Telles sont les œuvres et vertus inconcevables du Dharma merveilleux ».

大白法 平成27116日刊(第901号)より転載

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